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Appel à communications - ClosDepuis qu’ils sont entrés en littérature en France sous l’Ancien Régime, les contes ont essaimé dans toutes les sphères de la représentation, légitimées ou triviales. En 2001, l’exposition de la Bibliothèque nationale de France[1] avait mis en évidence la récurrence de leurs personnages et de leurs scénarios bien au-delà des livres, et jusque dans les objets familiers. De plus, les références aux contes innervent le langage sur le mode de l’allusion ou de la figure, créent des effets de connivence et jouent le rôle de mots de passe culturels. Le colloque propose de s’attacher à cette omniprésence et à cette influence dans le domaine proprement littéraire – excluant donc le cinéma, les séries télévisées, les jeux vidéo, la publicité, etc. – afin d’interroger la manière dont les contes nourrissent la littérature et l’expérience littéraire. Pour étudier ce phénomène que nous qualifions d’épanchement du conte dans la littérature, nous aurons à questionner la présence latente ou affichée des contes dans les œuvres littéraires, de l’innutrition à la réappropriation, ainsi que la manière dont cette présence est prise en compte dans l’enseignement.
Si le poids du conte sur la littérature de jeunesse a fait l’objet ces dernières années d’un certain nombre de travaux[2], la critique s’est moins intéressée à son impact sur la littérature tout court. Le domaine du conte a passionné toutes les branches des sciences humaines au cours du XXe siècle, mais force est de constater que les théoriciens de l’intertextualité ne s’intéressent guère à lui et qu’il semble victime, hors de la sphère des spécialistes, d’un certain déficit de légitimité littéraire. Quand Gérard Genette, dans Palimpsestes, parcourt la littérature internationale depuis l’Antiquité, il lui arrive de mentionner Perrault, mais jamais pour ses Contes. Près de trente ans plus tard, Richard Saint-Gelais inclut dans ses catégories transfictionnelles quelques productions inspirées par les contes de Perrault les plus célèbres, « Cendrillon », « Le Petit Chaperon rouge » et « Le Petit Poucet », mais ces références ne pèsent guère dans les quelque trente pages d’index de son livre[3]. Si les « perversions du merveilleux » ont été bien étudiées dans la production du XIXe siècle par Jean de Palacio[4], elles sont plus rarement abordées par la critique contemporaine, du moins en France[5], alors que les réécritures de contes sont légion. Territoire passionnant au regard de la poétique des genres, le conte se prête avec aisance à tous les jeux de d’hybridation en se mêlant aux autres formes littéraires, qu’il dilue ou incorpore. Sans doute cette propension est-elle constitutive du genre lui-même : lorsqu’il ouvre le premier numéro de la revue Féeries en 2004, Jean-Paul Sermain présente le conte comme « un espace d’échange entre les genres »,un « atelier d’écriture expérimentale, ouvroir de littérature romanesque[6] ».
Nous proposons d’aborder aussi bien les réécritures proprement dites que les amalgames de contes, les migrations de personnages et les différentes formes intertextuelles, jusqu’à une présence plus latente des contes dans les œuvres lorsque les auteurs y trouvent un réservoir de motifs et de formes qu’ils convoquent et intègrent à leur univers. On peut penser par exemple à la place du merveilleux dans les romans de Marie Ndiaye, à Tahar Ben Jelloun ou à Michel Tournier, tous auteurs qui ont justement publié des contes destinés à la jeunesse. Cependant, des allusions à l’univers du conte surgissent aussi là où on les attendrait le moins, comme dans les ouvrages de Svetlana Alexievitch sur l’homo sovieticus. Certains auteurs trouvent dans les contes des convergences avec leur équation personnelle (Christine Angot, avec « Peau d’Âne »), d’autres une occasion de questionner la notion de genre littéraire (Eric Chevillard avec « Le Vaillant Petit Tailleur », Philippe Beck dans ses Contes populaires), de s’essayer à un autre type de récit (Anne Rice avec « La Belle au bois dormant »), d’autres enfin en font un instrument d’investigation sociale (Elfriede Jelinek dans ses Drames de Princesses). Dans la littérature pour adolescents et young adults, de nombreux titres affichent leur affiliation aux contes, en lien avec l’expansion de la fantasy dans ce domaine éditorial. Ainsi, dans le dernier roman de Timothée de Fombelle, Le Livre de Perle[7], notre monde est une terre d’exil pour les personnages des contes condamnés à la fuite. Sans se donner pour exhaustives, les pistes d’études suivantes pourraient être ouvertes pour étudier l’épanchement du conte dans la littérature des XXe et XXIe siècles, légitimée ou populaire, destinée aux enfants, aux adolescents ou à un plus large lectorat : - Comment interpréter le poids des contes sur la littérature ? - Pourquoi et comment les réécritures de contes s’approprient-elles les autres genres littéraires ? - De quelle manière création et récréation s’équilibrent-elles dans l’entreprise de reconfiguration des contes ? - Qu’en est-il des allusions plus diffuses à l’univers des contes : comment analyser leur surgissement, peut-on en construire une typologie ? - Comment les contes et leurs réécritures sont-ils pris en compte dans l’enseignement de la littérature, pour quels corpus et avec quelles modalités ?
[1] Catalogue sous la direction d’Olivier Piffault, Il était une fois… les contes de fées, Paris, Seuil/Bibliothèque nationale de France, 2001. Site : expositions.bnf.fr/contes/ [2] Sandra L. Beckett, Recycling Red Riding Hood. New York and London: Routledge, 2002. Christiane Connan-Pintado et Catherine Tauveron, Fortune des Contes des Grimm en France. Formes et enjeux des rééditions, reformulations, réécritures dans la littérature de jeunesse, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, « Mythographies et sociétés », 2013. [3] Richard Saint-Gelais, Fictions transfuges. La transfictionnalité et ses enjeux, Paris, Seuil, « Poétique », 2011. [4] Jean de Palacio, Les Perversions du merveilleux. Ma mère l’Oye au tournant du siècle, Paris, Séguier, 1993. [5] Muguras Contantinescu consacre un chapitre aux réécritures visant les adultes, dans Les Contes de Perrault en palimpseste, Suceava, Presses universitaires de Suceava, 2006. Les réécritures d’Angela Carter font l’objet de différents travaux (Laurent Lepaludier, dir. Métatextualité et Métafiction, théorie et analyses, Rennes, PUR, « Interférences », 2002), mais ceux de Martine Hennard Dutheil de la Rochère ne sont pas traduits en français (par exemple Reading, Translating, Rewriting: Angela Carter's Translational Poetics. Detroit, Mich.: Wayne State University Press, 2013). On regrette également que ne soit pas traduit l’ouvrage fondateur de Marina Warner, From the Beast to the Blonde : On Fairy Tales and their Tellers, New York, Farrar, Straus, Giroux, 1995. [6] https://feeries.revues.org/64 [7] Thimothée de Fombelle, Le Livre de Perle, Paris Gallimard, « Grand format », 2014. |